Une justice à plusieurs vitesses ?
Le souci de la justice nous paraît essentiel au maintien de la cohésion sociale. En effet, quand la justice n’est pas, ou bien est mal appliquée, c’est le sentiment de rejet et de dévalorisation qui naît. Nous ne pouvons nous passer de justice, à aucun endroit où une autorité est instituée. L’exemple peut sembler banal ou ridicule, mais il est caractéristique : c’est le cas de l’école. Là où l’enfant est soumis pour la première fois à une autorité, des règles et une justice extérieures à celles de la famille, il importe que les enseignants possèdent et fassent usage du sens de la justice. Car toute punition expéditive ou collective ne fera que confirmer -de manière plus ou moins consciente, avec plus ou moins de répercussions sur son avenir- que ce simulacre de justice n’est là que pour légitimer l’arbitraire de l’adulte. La vie collective commence à l’école, il n’y a aucune raison pour que la justice n’y commence pas également.
Ensuite, parlons de la « vraie » justice, telle qu’elle peut-être ressentie par la population. Un sentiment existe chez les personnes qui se sentent rejetées, exclues ou malvenues dans notre société, c’est celui d’une justice à plusieurs vitesses. Tout d’abord, précisons que de nombreuses personnes peuvent se sentir à raison défavorisées, démunies dans la société : jeunes, étrangers, personnes d’origine étrangère, chômeurs, pauvres. Ces facteurs de marginalisation se recoupant, on obtient souvent du point de vue géographique par manque de mixité sociale ce que par pudeur ou respect du politiquement correct nous appelons « cités » ou « quartiers sensibles » et que certains n’hésitent pas à qualifier de ghettos. Le fait est que dans ces zones le désoeuvrement de certains et le sentiment d’impuissance inspiré à beaucoup par l’absence de réel projet d’aide ou d’insertion peut conduire à un sentiment d’abandon. Cet abandon aura pour effet de justifier chez une minorité une rébellion et la contestation des règles élémentaires de civisme ou de respect. Il résulte de cela une forme particulière de violence de faits, de mots et d’attitudes qui semblent justifier une réponse musclée des forces de l’ordre. Or, ce que beaucoup remarquent, délinquants ou non, c’est que les préjugés existent partout et qu’ils peuvent se sentir victimes d’un grand nombre de faits injustifiables. Le délit de sale gueule par exemple : les contrôles policiers se font encore trop souvent d’après la couleur de peau ou les traits du visage. Comment expliquer à quelqu’un que tous les citoyens sont égaux quand les faits de tous les jours confirment qu’on est présumé coupable ou suspect d’office ?
Même en ce qui concerne la justice proprement dite, on ressent le même sentiment d’acharnement, ou plutôt dans ce cas d’impunité pour certaines classes sociales. Prenez par exemple un voleur de scooters ou un arracheur de sac à main. En cas de confrontation avec la police, on aura la plus part du temps des scènes de violence, etc. mais aussi après jugement des peines de prison ou des amendes. Rien que de normal. Mais à côté, quand il s’agit de détournement de fonds, d’abus de bien sociaux commis par des personnages influents, les procès sont souvent longs, rendus inefficaces par diverses pressions, annulés pour vice de procédure et beaucoup se concluent par des non-lieux ou des peines ridicules. Pourtant en comparaison avec les premiers délits, il s’agit autant de vol, concernant des sommes plus importantes, volées à l’Etat ou à diverses associations et commises par des personnes qui ont déjà une place de choix dans la société, qui ne sont pas en situation de précarité et dont le comportement est de ce fait encore moins excusable. De la prison ferme pour le voleur à la petite semaine, de la prison avec sursis pour celui qui a su détourné avec panache de grosses sommes… voilà comment est de plus en plus perçue notre justice. Exagéré ou pas une perception aussi inégalitaire de la justice est anormale et, je pense, inacceptable.
A titre de conclusion, l’actualité nous donne un exemple dont le peu de portée peut nous laisser rire, mais qui pris comme symptôme des inégalités sociales est dramatique pour notre avenir : le fils de M. de Villepin, 1er ministre français ayant affaire aux forces de l’ordre pour tapage nocturne lors d’une soirée entre amis bien arrosée dans le XVIème n’a qu’à appeler son père au téléphone pour devenir immédiatement hors d’atteinte de toutes sanction. Je pense que de nombreuses personnes ayant commis les mêmes actes ne peuvent se vanter de s’en être tiré à si bon compte… Bref si les modèles de réussite dans notre société ne donnent l’exemple ni l’impression d’être soumis de la même manière que tout citoyen à la loi républicaine, c’est la justice elle-même qui en fera les frais ainsi que la paix sociale. Comment rendre la justice crédible quand malgré les promesses on laisse la « fracture sociale » s’infecter et pourir sur place ! Il ne faut pas prendre ce fait à la légère, c’est bien de la réussite ou de l’échec de notre société à réaliser les idéaux de la république et de la démocratie qu’il est question, et que, visiblement nous abandonnons peu à peu.